Aires de "je"
Lu récemment dans M, le magazine du Monde, un article très intéressant sur les nouveaux espaces de jeux urbains, accessible en ligne ici. “Le jeu, c’est très sérieux“, comme le souligne une spécialiste du sujet interviewée pour l’article. Très sérieux et très révélateur des évolutions de la société et de notre rapport à l’expérimentation et au risque.
Ultra-sécurisées au point de devenir stéréotypées et peu propices au développement de l’imagination et de la créativité, les aires de jeux sont en train d’être réinventées par des cabinets d’architecture comme Base en France ou Monstrum au Danemark.
“L’aire de jeux idéale doit proposer de vrais challenges aux enfants : elle doit avoir l’air dangereuse tout en étant sûre ”, explique le fondateur de Monstrum à la journaliste de M, “Elle doit aussi être belle et raconter une histoire. ”
Outre l’aspect ludique et sportif, ces réalisations proposent une vision renouvelée de ce que grandir en ville veut dire et questionnent notre obsession pour la sécurité. En permettant aux enfants d’échapper, ne serait-ce qu’un instant, au regard de leurs parents, ces aires de jeux amorcent une petite révolution qui s’étend bien au-delà du choix du revêtement de sol.
Aujourd’hui, impossible pour un enfant de faire ses découvertes et apprentissages ailleurs que sous la surveillance d’un adulte.”Autrefois, les enfants étaient très fiers de “savoir aller à tel ou tel endroit” seuls et de connaître des raccourcis que les adultes n’empruntaient pas“, note Hanna Rosin dans “The overprotected kid”, un article très fouillé sur le sujet – et dans lequel elle réalise avec effarement que sa propre fille, âgée de 10 ans, a probablement passé, dans toute sa vie, moins de 10 minutes hors de la supervision d’un adulte.
Dans cet article, il est aussi beaucoup question de The Land, un parc d’un genre nouveau ouvert il y a 3 ans au Pays-de-Galles. The Land est l’un des très rares lieux où la surveillance des enfants par les adultes est réduite au minimum : quelques animateurs sont présents mais chargés de n’intervenir qu’en cas de véritable besoin et non, comme le fait la majorité des parents pour prévenir tout risque (“ne monte pas là, tu vas tomber…”), donc tout amusement.
Objectif de ce parc, fondé sur les principes émis dans les années 1940 par l’architecte-paysagiste Lady Marjory Allen of Hurtwood : permettre aux enfants de se confronter au danger et de l’évaluer pour apprendre par eux-mêmes mais aussi les encourager à apprivoiser la peur et développer la confiance en soi.
The Land : un espace où les enfants essaient, imaginent et découvrent le monde |
Il faut espérer que ces initiatives se multiplieront et contribueront à contrecarrer ce que l’un des experts interrogés par Hanna Rosin appelle “l’érosion de la culture de l’enfance” et inciteront la génération des “parents hélicoptères” à accepter de laisser (un tout petit peu) grandir leurs enfants en dehors de leur champ de vision.