De la transition alimentaire, des noms qui créent le débat et un certain art de l'entre-deux
Il y a quelques jours, j’ai pouffé en découvrant dans un post LinkedIn la campagne imaginée pour accompagner le lancement de La Vie au Royaume Uni.
Le post valait le détour mais, une fois le mystère du “Sonnzburries” levé, les commentaires étaient tout aussi intéressants puisqu’ils soulevaient une question posée à de nombreuses reprises mais toujours pas résolue, à savoir : doit-on/peut-on parler de “bacon”, de “lait”, de “steak” pour des produits végétaux qui reproduisent la forme, la texture, le goût des produits désignés mais ont, bien sûr, une composition différente ?
Les “contre” font valoir que de nouveaux aliments méritent de recevoir de nouveaux noms, avançant qu’un “bacon” végétal ferait passer l’idée que le “bacon” en général serait acceptable et qu’il faut acter le fait que l’époque d’un “tout viande” par défaut est désormais révolue.
Les “pour” estiment que l’utilisation de termes “carnés” permet à ces nouveaux aliments de trouver plus facilement leur place dans les habitudes alimentaires : identifiés comme simili-steaks ou simili-bacon, ils permettraient de partager une même expérience sociale (le fameux barbecue du dimanche) et faciliteraient le passage à une alimentation différente.
D’autres commentaires soulèvent la question du degré de transformation des produits (“If you called it the processed cr*p it is, no one would eat it”) mais c’est un autre sujet – bien que sans aucun doute central dans les années à venir.
Si le Conseil de l’Union Européenne interdit depuis 2007 l’appellation “lait végétal”, le Conseil d’État a suspendu fin juillet un décret interdisant à partir du 1er octobre l’usage des appellations « steak », « lardon », « saucisse », « boulette » ou encore « Carpaccio » pour les produits à base de protéines végétales, suite à une requête de l’association Protéines Frances – qui défend les intérêts des industriels en protéines végétales.
Plus tôt dans l’été, HappyVore et La Vie™ avaient tourné en dérision cette proposition de décret à travers deux campagnes géniales :
– la première à coups de descriptions ultra-techniques tout droit sorties de la COGIP, avec des “pièces tantôt hexagonales tantôt polygonales” (pour ne pas dire “nuggets”), des “sphères aplaties de taille semblable” (pour ne pas dire “steaks) ou encore des “tiges cylindriques à bouts ronds” (pour ne pas dire “merguez”)
– la seconde sur fond de “ç’est çui qui dit qui y est” totalement absurde dans laquelle la marque fait valoir le fait que ce sont les lardons de porc qui ressemblent un peu trop à la version végétale qu’elle commercialise et encourage les consommateurs à demander aux marques du lobby du porc de bien vouloir changer leur recette, merci.
Début septembre, plusieurs articles ont relayé la décision de la ville néerlandaise d’Haarlem d’interdire les publicités pour la viande dans ses rues à compter de 2024 – au même titre que les campagnes pour les vols de loisirs, les énergies fossiles et les voitures les utilisant.
Difficile d’imaginer une décision aussi radicale en France ou même dans d’autres pays. Difficile aussi de prédire l’évolution du marché des substituts – ou des aliments-pour-lesquels-on-aura-trouvé-le-nom-qui-va-bien – : entre effets de l’inflation et difficile adoption par les consommateurs – McDo a récemment annoncé qu’il abandonnait son burger veggie –, sa progression paraît aujourd’hui plus incertaine qu’envisagé auparavant.
Selon les experts, le végétal ne remplacera jamais totalement l’animal : “le plus probable, ce n’est pas que l’on ne mange plus de viande du tout, mais qu’on en mange beaucoup moins. Les progressions les plus importantes s’observent dans la catégorie des flexitariens, comme en France où 49 % des foyers comptent au moins une personne recherchant activement à limiter sa consommation de viande en 2022, contre 25 % en 2016 (source : Kantar).”
Dans l’intervalle, et en attendant de découvrir le contenu de nos assiettes dans 20 ans et le nom que l’on donnera aux aliments, il est intéressant de se pencher sur quelques noms adoptés par les marques du secteur des protéines végétales.Parmi eux, on trouve notamment :
– des noms chargés de vitalité et résolument optimistes, qui se placent dans une quête de bonheur, notamment gustatif mais pas uniquement
- La Vie, qui affirme clairement son choix entre “la viande ou la vie” et s’adressent à “ceux qui aiment la viande mais préfèrent la vie”
- HappyVore : “et ils mangèrent heureux”, qui se paie le luxe de créer une nouvelle catégorie de consommateurs – après les locavores et crudivores, les mangeurs de bonheur !
- Accro : des substituts au carné tellement bons qu’on ne peut plus s’en passer
- Et un petit dernier : Kokiriki, qui joue la carte du “délicieux tasty” made in France, à coup de petits coqs portant bérets et marinières
– des noms qui indiquent la volonté de chambouler les règles, de révolutionner le goût tout en favorisant une action collective au bénéfice de la planète :
- Moving Moutains : “Adventure into flavour”, avec 3 “montagnes à soulever”, celle du goût, celle de l’environnement et celle de la santé
- Daring, qui valorise le courage, la curiosité et l’envie de ceux qui veulent changer les choses (“Daring is caring”)
- Beyond Meat et Impossible, plus connus, dont les noms soulignent bien la possibilité de dépasser le modèle actuel (ou récent) du tout viande et d’inventer ce qui, jusqu’ici, paraissait irréalisable
– des noms qui définissent les produits en négatif pour souligner la différence entre le produit et son “équivalent” animal :
- NOTMilk et NOTBurger de l’entreprise de biotech new yorkaise NotCo, qui commercialise des produits qui ne sont PAS du lait / PAS des burgers
- No Evil qui va plus loin en posant l’équation la viande = le mal (on imagine la réception d’un nom pareil en France) qui rappelle la communication d’Axiology, marque US de beauté qui propose du rouge à lèvres “evil free”
- Meatless Farm, la ferme qui produit de la viande sans animaux
– des oxymores
comme le Boucher Végétarien (on peut difficilement faire mieux, même si les Very Good Butchers ont essayé, avec un “good” dont on ne sait trop s’il renvoie au goût ou à une dimension plus morale dans le sens good ≠ evil), dont les produits sont disponibles depuis peu en France chez Carrefour
Certains auront peut-être en tête la campagne Oatly d’il y a quelques années : “c’est comme du lait mais fait pour les humains”
– des noms plus atypiques (= que l’on ne sait trop classer ici)
comme JUST Egg, qui joue sur la polysémie du terme “just”. JUST egg n’étant pas du tout juste un oeuf animal mais encourageant, à travers son fabricant Eat Just, à manger de manière plus juste pour sauver la planète
comme JUST Egg, qui joue sur la polysémie du terme “just”. JUST egg n’étant pas du tout juste un oeuf animal mais encourageant, à travers son fabricant Eat Just, à manger de manière plus juste pour sauver la planète
– et pour finir, des noms qui se placent dans un entre-deux, dans une transition douce, et sont chargés de mettre en avant des produits eux-mêmes à mi-chemin entre alimentation animale et végétale. Deux exemples relevés :
- le BOTH burger lancé par 5050foods, un burger mi-viande, mi-veggie qui, en proposant le burger et l’argent du burger de diminuer les quantités de matière carnée, souhaite concilier le meilleur des deux mondes
- le lait Kalverliefde (littéralement “amour de veau”, “amour de jeunesse” au sens figuré) lancé par une entreprise néerlandaise qui commercialise du lait animal MAIS uniquement produit par des vaches laissées au contact de leur veau, un argument qui séduira les consommateurs soucieux de l’aspect éthique plus que santé ou environnemental
Deux exemples qui proposent, au même titre que des innovations comme celles de Pâquerette & Compagnie composées à 50% d’avoine/noisette/amande et 50% de lait de vache, une alternative au choix existants (à savoir animal OU végétal) et illustrent bien les efforts qu’il faudra probablement déployer pour convaincre la population dans son ensemble. Avant de passer aux criquets et autres vers de farine… mais ça, c’est une autre histoire.