De l'émotion avant toute chose
Les marchandises émotionnelles, comme elle l’expliquait dans son intervention sur France Inter il y a quelques semaines, ce sont celles qui ont succédé aux biens physiques, des produits intangibles qui contribuent à la formation du moi et constituent notamment le cœur de l’immense marché du développement personnel. Avec sur les biens tangibles un avantage considérable : leur caractère inépuisable – puisque, contrairement à un réfrigérateur par exemple, l’émotion peut être recherchée et consommée à l’infini.
Il y a quelques semaines dans son magasin de Bruxelles, Ikea a mis en place un détecteur d’émotions, le (HE)ART scanner, destiné à identifier, parmi ses clients, les personnes les plus sincèrement touchées par une série limitée de tapis, véritables œuvres d’art imaginées par des créatifs comme Virgil Abloh ou Misaki Kawai. L’objectif : éviter leur revente en restreignant la vente aux véritables amoureux des œuvres, puisque seuls les participants dont les émotions étaient jugées suffisamment fortes devant la contemplation des produits étaient autorisés à les acquérir.
Avec cette initiative, Ikea renverse totalement la logique habituelle – montrez-nous vos émotions, nous vous créerons un produit sur-mesure – en lui substituant une approche exclusive – seuls ceux dont les émotions sont “à la hauteur” sont autorisés à se procurer le produit.
Mais, au-delà du coup de pub et du côté assez osé d’une expérience qui conduit le magasin à refuser des ventes, la marque transforme les émotions en une forme de paiement. Une monnaie d’échange, qui vient en complément du prix en euros et dont les candidats à l’achat doivent s’acquitter pour obtenir l’objet de leur choix – ici, un tapis qui pourrait être, à bien y regarder, lui-même une marchandise émotionnelle…