Réparation Rebellion
Il y a eu beaucoup de débats ces dernières semaines sur la
sobriété (subie ou choisie, possible mais pour qui, etc…) Parmi toutes ces
questions, il y en a une qui m’intéresse depuis plusieurs années : c’est celle de la désirabilité de la frugalité. Comment recréer le
désir dans un monde où tout – du moins tout cas dans cette partie du monde et
pour certaines populations – est disponible en permanence et à profusion ?
Il existe de nombreuses pratiques qui permettent de faire autant (voire mieux) avec moins et d’avancer (joyeusement) vers des modes de vie plus sobres. Il y a 10-15 ans, les cahiers de tendances fourmillaient de
“nouvelles” manières de s’approprier ses objets : on parlait beaucoup de
vintage, d’objets chargés d’histoires et de DIY (les fameux clubs de tricot new yorkais hyper branchés). Aujourd’hui, la réparation est à l’honneur.
Le Victoria & Albert Museum lui consacre actuellement une exposition intitulée “R is for Repair” qui met en scène des objets réparés par des
particuliers et rappelle notre attachement émotionnel aux choses qui nous
entourent et les ressources créatives que nous pouvons mettre en oeuvre pour
prolonger leur vie.
Des communautés internationales comme iFixit grandissent et diffusent leur message – leur manifeste est fondé sur une idée forte : “Qui ne peut réparer un appareil ne le
possède pas”
Les pouvoirs publics prennent aussi conscience de la
nécessité d’encourager la réparation pour lutter contre la surconsommation et
ses effets sur la planète – et l’humanité. Des dispositions comme l’obligation pour les vendeurs
d’informer sur la disponibilité des pièces de rechange en France ou, en
Autriche, la mise en place de bons qui couvrent la moitié des coûts engagés par
les consommateurs qui souhaitent faire réparer leurs appareils usagés (y
compris des smartphones).
Quelques chiffres
Selon une enquête Eurobaromètre, 77% des Européens préfèrent faire réparer
leurs appareils plutôt que de les remplacer. Mais il existe plusieurs freins : selon un sondage YouGov
publié en 2020, il s’agit principalement du coût (41 %), du fait de ne pas être
bricoleur (28 %), du manque d’outils (7 %) ou de temps (7 %).
Et pourtant, comme le montrent un nombre croissant d’entreprises à travers leur communication et leurs initiatives…
Réparer,
c’est économiser
Darty, qui a étendu progressivement son service de réparation par abonnement
Darty Max au cours des 3 dernières années, ou encore la startup Murfy (“Et ça
répare” 😊) nous le rappellent dans leurs campagnes : la réparation, c’est le moyen
le plus efficace de prendre soin de son porte-monnaie.
Réparer, c’est s’engager
“Jeter moins, recycler plus” : c’est l’un des principes adoptés par la MAIF qui, au-delà du recyclage des pièces pour les réparations auto, privilégie aussi la réparation sur les appareils électroménagers et
organise des ateliers
participatifs où chacun amène son objet endommagé pour le réparer.
“Stitch it, don’t ditch it” (“Raccomodez au lieu de jeter”) : un exemple emblématique de “craftivism” durant la Fashion Week de Londres de septembre 2021, les “streetstichers” ont exposé, devant une boutique Primark, une autre manière de vivre la mode. Comme l’a expliqué Suzi Warren, la fondatrice du mouvement : “il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut jamais acheter [de vêtements dans les enseignes de fast fashion] mais que, si vous le faites, essayez d’établir une sorte de contrat pour les garder aussi longtemps que possible.”
Dans l’habillement, il y a eu Patagonia (évidemment) et sa Garantie Absolue permettant de faire réparer gratuitement ses produits. De plus en plus d’enseignes font aussi appel à des entreprises spécialisées comme Les Réparables, qui travaille avec Décathlon, Intersport ou Showroom Privé. Au Royaume Uni, The Restory offre, en partenariat Harvey Nichols, un “Revival package” pour l’achat d’une paire de chaussures ou d’un sac à main, c’est-à-dire des services d’entretien sur-mesure à tarif préférentiel, utilisables dans les 18 mois suivant l’achat afin de prolonger la durée de vie de l’article.
Réparer, c’est conserver les objets qu’on a aimés
Nike a attiré l’attention récemment avec son robot BILL (pour “Bot Initiated Longevity Lab”), capable de nettoyer et de réparer les sneakers. Au-delà de la prouesse technologique, Nike a bien compris la dimension émotionnelle et l’attachement des consommateurs à leurs produits : “Conserver de vieux objets, c’est quelque chose de profondément personnel. Les gens sont prêts à beaucoup d’efforts pour prendre soin de leurs chaussures préférées. Réparer un objet, c’est prolonger sa mémoire avec cet objet”, a déclaré Noah Murphy-Reinhertz, responsable NXT Space Sustainability. Quand la valeur sentimentale rejoint l’impact environnemental…
Réparer, c’est kiffer
“Réparer un objet, le ramener à la vie procure un shot de dopamine !” (Suzi Warren, la dame des streetstichers mentionnés plus haut). Parce que oui, en plus de la possibilité de profiter un peu plus longtemps des objets qu’on a aimés, réparer soi-même, quelle joie et quelle fierté !
Qu’il s’agisse de vêtements…
avec la Bible de la Réparation (“un acte héroïque !”) éditée par The Good Goods (en précommande, parution en novembre) ou avec les tutos Uniqlo – qui repart du tout tout début avec l’étape “Enfiler une aiguille et faire un noeud” et met en garde sur le fait que “cette vidéo est fournie à titre indicatif seulement. Veuillez faire très attention lorsque vous utilisez des objets pointus”
d’appareils d’électroménager…
avec des entreprises comme Spareka ou Pivr – qui ont par ailleurs conclu des partenariats avec Cdiscount, de plus en plus engagé sur la question – qui permettent de dépanner soi-même ses objets en visio avec des réparateurs
ou même de sa voiture…
avec des tutos comme ceux proposés par Ma Clé de 12 (“Make le tuto méca great again !”) ou des lieux participatifs comme le Garage Moderne en bas de chez moi qui permet de réparer et d’entretenir son véhicule soi-même, avec l’aide d’un mécano.
A peu près tout, en réalité…
Des économies, un impact moindre sur l’environnement, des émotions, une pointe de créativité et même du lien humain : what’s not to love ? Les marques ont tout intérêt à intégrer la “révolution réparation” – qui date un tout petit peu, certes, quelques siècles mais avait presque disparu dans cette région du monde – à leur démarche pour nourrir le lien avec leurs clients tout en limitant leur impact sur la planète et ses ressources.